La morale a la vue courte

« Les hommes ne sont vicieux, que parce qu'ils ne pensent qu'au présent. »

  D'Holbach.

 

L'immoral est le plus souvent ce que suggère une vision à court terme.

Ainsi du vol qui paraît immédiatement avantageux pour le voleur. Avantage d'abord évident mais dont le charme s'amenuise pourtant dès que l'auteur prend en compte les possibles représailles de ses victimes (dans les sociétés sans Etat) ou l'action des représentants de la loi (dans les sociétés avec Etat). (« Bien mal acquis ne profite jamais »).

D'un point de vue social – et les sociétés qui pré-existent aux individus et qui leur survivent représentent, dans l'assez faible mesure où elles les comprennent, les intérêts à long terme de l'espèce – le vol est dangereux en raison de l'insécurité matérielle qu'il crée en temps que mode d'échange incontrôlé, des incertitudes et des désordres qu'il introduit et notamment des pratiques de vendetta qu'il suscite.
Il en va évidemment de même du meurtre.

L'injustice est un autre exemple d'une prise en considération déficiente du moyen et du long terme. D'une part en ce que ceux qui se trouvent spoliés finiront un jour par trouver un moyen de prendre leur revanche de sorte que tout ce qui a été dit plus haut quant au vol et du meurtre s'applique à nouveau. D'autre part en ce que le spoliateur finira lui même (ou sa descendance) par se retrouver du côté des spoliés, de sorte qu'au cours du temps, spoliateurs et spoliés échangent leurs rôles tandis qu'au delà de ce jeu historique de chaises musicales, l'injustice perdure comme structure abstraite, néfaste et douloureuse.

A l'inverse, la Charité et la Solidarité visent le moyen et le long terme (« Un bienfait n'est jamais perdu »), mais c'est plus généralement le cas de toutes les vertus qui nous enjoignent avec constance de sacrifier le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui à des lendemains somme toute incertains.

[(Dresser la liste des vertus chrétiennes)

mais aussi des conduites menant a des pathologies, comme la consommation excessive des drogues, même légales.]

[Parler du sexe, seule exception apparente, mais qui s'éclaire à la lumière de Wilhelm Reich dans l'Irruption de la morale sexuelle]

Pourquoi avons nous besoin des secours de la morale pour nous rappeler à l'ordre des exigences du long terme ?

C'est que les exigences du long terme sont liées à des événements rares, tandis que celles du court terme sont liées à des événements fréquents. Aussi n'est-il pas utile de rappeler ce dont la répétition fréquente assure qu'on ne l'oubliera pas.

Et donc, l'évolution biologique a conduit à ce que notre perception des exigences du court terme (c'est à dire fréquentes) soit plus aiguisée, précise, efficace et impérieuse que celle que nous avons du moyen et du long terme.
En ce sens, le court terme (c'est à dire d'une certaine façon le « mal ») doit avoir priorité sur le long terme (c'est à dire en quelque façon le « bien »), de sorte que Satan serait bien en effet Prince de ce Monde mais qu'il ne faudrait s'en plaindre qu'avec un peu de mesure et modération.

De sorte aussi que le mal apparaît au fond comme un bien un peu court, un bien à la vue basse, déplacé, inadéquat, et pour mieux dire, désynchronisé...


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La morale a la vue courte (1) - Pierre Petiot - Mai 2008

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